19.
Soleil blanc éclatant. Cassandre rêve qu’elle est dans une grande cité de l’Antiquité inondée de lumière. Le ciel est bleu azur et elle gravit des marches qui mènent à un temple peint de couleurs vives.
Des caryatides et des colonnes corinthiennes ornent l’entrée. Les bas-reliefs sculptés représentent des combattants en tunique qui brandissent des épées et des lances. Leurs muscles saillent dans le marbre.
Cassandre pénètre dans le lieu sacré. Après avoir suivi une longue file de candélabres allumés, elle parvient au pied d’un trône élevé où siège une femme d’une cinquantaine d’années, drapée dans une toge blanche.
Un sourire joue sur son beau visage que le temps n’a pas altéré.
— Je suis Cassandre, déclare-t-elle. Et toi je sais qui tu es. Tu es la « Cassandre des temps futurs ».
La jeune fille reconnaît la prêtresse dessinée sur la couverture du livre de Papadakis. Une dignité royale se dégage de sa personne parée de bijoux incrustés de turquoises. Elle a de longs cheveux auburn tenus par un diadème. Un serpent joue à s’entortiller autour de son bras, comme un bracelet vivant.
— Tu vois le futur et tout le monde s’en fout, n’est-ce pas ?
Elle sourit, compréhensive.
— Suis-moi, lui intime-t-elle en se levant.
— Pourquoi ? demande la jeune fille.
— Pour développer ton intuition féminine, répond la femme avec un clin d’œil.
D’un pas timide, Cassandre lui emboîte le pas, et découvre bientôt un magnifique jardin derrière le temple. Au fond, des milliers de bébés agrippés à un grillage les observent.
— Qui sont-ils ? demande la jeune fille en ralentissant le pas.
— Eux ? Ce sont les nouvelles générations. Ils veulent savoir ce que nous faisons pour apprendre ce qui va leur arriver.
Après avoir dépassé une orangeraie, la femme s’avance avec majesté vers une colline. D’un repli de sa toge elle sort une graine, s’agenouille et la plante dans le sol.
— Regarde bien ce qui va se passer, murmure-t-elle.
Elle claque des doigts et aussitôt jaillit du sol un arbuste qui grandit, n’arrête plus de grandir.
La jeune fille recule, impressionnée, mais la femme lui saisit le bras.
— N’aie pas peur.
L’arbuste devient un arbre au tronc bleu, qui continue de s’épanouir, de s’élever vers les cieux dans un bruit assourdissant de rameaux qui craquent, de branches qui naissent.
L’Arbre Bleu devient immense.
Il est désormais si haut, si large, que ses ramures assombrissent le ciel.
La prêtresse indique alors une porte qui s’ouvre dans l’énorme tronc bleu.
— Suis-moi encore, veux-tu ?
La jeune fille obéit, et découvre, dans la pénombre du tronc, deux labyrinthes. L’un descend, l’autre monte.
— C’est l’Arbre du Temps. Les racines sont le passé, le tronc est le présent, les branches sont le futur, explique l’antique Cassandre. Viens ! Je vais te montrer quelque chose d’intéressant.
Elle la guide dans un dédale de couloirs de bois qui s’enchevêtrent au-dessus d’elles, la fait ressortir au niveau des ramures les plus basses. Là, des branches bleu foncé, prolongées par des branchettes claires aux feuilles blanches, s’étalent près de sa tête.
— Il faut alerter les bébés, lui confie l’antique Cassandre.
Elle lui désigne une feuille où se déroule une scène qu’elle connaît déjà.
Et cette image l’horrifie.